Paul-André Proulx

Littérature québécoise



Asselin, Luc.


Phénix.
Éd. de l'Hexagone, 1999, 271 p.

La Guerre civile d'Espagne

Un pyromane, incarcéré pour ses méfaits meurtriers, est libéré de prison par les marxistes afin de participer à la guerre civile d'Espagne. On veut mettre à contribution son talent d'artificier pour contrecarrer l'avance de Franco, qui s'amène à Madrid avec des Marocains afin de renverser le gouvernement républicain défendu par les factions de gauche.

Ainsi le héros de 41 ans, Manuel Encina, joint un groupe militaire mal muni pour faire sauter à Tolède la forteresse de l'Alcazar déjà aux mains des franquistes. L'insuccès de l'entreprise le conduit ensuite à Madrid, où l'on réussit à neutraliser la troupe du Caudillo qui veut s'emparer de l'université. Après cette victoire, attribuable en grande partie au génie inventif de Manuel, alias Marconi, alias Pavel, il est envoyé à Las Rozas, une petite ville de campagne. Il a comme mission de préparer des pièces d'artifice pour stopper la prochaine offensive du futur dictateur. C'est sur cette toile de fond historique que Luc Asselin a construit une œuvre forte, l'une des meilleures publiées en 1999.

L'auteur se sert de la guerre pour illustrer l'univers des gens désorganisés par leur passion, en l'occurrence la pyromanie. La solitude semble être la voie royale qui conduit à cette dérive. Devenu insensible à autrui à force de vivre en marge de la société, le héros a suppléé l'amour du prochain par celui du feu. Les victimes des explosions meurtrières qu'il a mises au point ne le touchent même pas parce que toute sa sensibilité s'est centrée sur cet art meurtrier. Mais, pour assurer sa survie, la guerre l'oblige à se tourner vers ses confrères d'armes, en particulier vers Carmen dont il devient amoureux. C'est la première fois de sa vie qu'une femme l'intéresse. Et peu à peu, il découvrira l'axe qui assure le sain équilibre : sans les autres, on n'est rien puisque l'on est bien limité. Si la guerre le rend plus lucide, il n'est pas prêt d'accepter la transparence que nécessite une bonne relation. En quelque sorte, il vit un dilemme : vaut-il mieux vivre sa folie que celle du monde?

Ces deux éléments forment un tout bien noué pour illustrer la condition humaine. Quand on sait que la guerre civile d'Espagne a fait 600,000 victimes, on réalise que la barbarie est incapable de se refreiner dans un contexte idéologique. C'est une œuvre qui donne à désespérer de l'humanité, mais c'est très réussi. L'auteur possède bien l'art romanesque. Ses rebondissements judicieux assurent une progression constante de l'action, maintenue dans un seul chapitre encadré par un court prologue et un épilogue tout aussi court. Cette structure monolithique s'explique aisément. Le pilier de voûte ne soutient que le cheminement de Franco vers le pouvoir, que l'on peut suivre facilement grâce aux liens référant à la toponymie de l'Espagne. Avec une écriture dense, mais claire, Luc Asselin a su établir un beau parallèle entre les différents enjeux. On croirait même entendre parfois la voix d'André Malraux qui souffle certaines reparties aux protagonistes du roman.