Paul-André Proulx

Littérature québécoise

Hage, Rawi.

1. Parfum de poussière.
Éd. Alto, 2007, 355 p.

La Guerre civile du Liban

La guerre civile au Liban a opposé les chrétiens aux musulmans. Les deux jeunes protagonistes appartiennent à la faction chrétienne de Beyrouth. Malgré les bombes qui réduisent leur quartier à des amas de poussière, ils tentent de tirer leurs marrons du feu en volant l'argent des machines de jeux ou en vendant de la drogue. Rien ne peut rompre les activités illicites, même quand les attaques sournoises menacent la vie de la population. L'argent n'est pas seulement le nerf de la guerre, c'est aussi celui de la survie.

Ils sont chanceux de s'en tirer à aussi bon compte. L'insouciance de leur âge les porte à défier la fatalité, mais voir leurs parents et leurs connaissances mourir l'un après l'autre en innocentes victimes les amène à se questionner sur leur conduite délinquante. Devant ce conflit qui s'éternise sonne alors l'heure des choix : combattre ou partir. Bassam ne se reconnaît plus dans son pays alors que l'on accourt de partout, en l'occurrence de la Syrie, de l'Afrique, d'Israël pour prêter main-forte aux différents clans. Il devient ainsi indifférent à la cause de la chrétienté libanaise. Dans ce contexte, il ne trouve pas mieux que de fuir sans papiers vers la France tandis que son ami Georges s'engage dans la milice. L'exil n'est pas une panacée. Bassam se retrouve aussitôt dans la lorgnette de ses compatriotes établis à Paris, qui espèrent le convertir à la cause en combattant l'ennemi de l'extérieur. Son destin dépend de nouveau de visées étrangères à sa volonté. Pour protéger son intégrité, il doit revenir à la case départ : quitter ou rester

L'écriture très pédagogique rend limpide les aléas d'une guerre civile vécue au quotidien. L'auteur ne s'arrête pas à la psychologie de ses personnages et aux enjeux politiques qui s'affrontent. Il éclaire plutôt le comportement que l'on adopte en période de crise. Son œuvre ne répond pas cependant à toutes les normes de l'art romanesque. Elle emprunte plutôt la voie de la chronique des incidents qui ont poussé son alter ego à quitter le Liban. Ce récit simple ne manque pas de lyrisme. Les envolées poétiques tissent de longues énumérations pour rendre compte, parfois avec un certain humour, de la vie en accéléré des personnages, obligés, par exemple, d'abandonner leurs animaux de compagnie : " Toutous orphelins, bichons de luxe dressés à être propres, bassets portant prénom français et nœud papillon rouge, caniches frisés au pedigree impeccable, cabots chinois ou génétiquement modifiés, clébards incestueux agglutinés en bandes qui couraient les rues par dizaines, unis sous le commandement d'un bâtard charismatique à trois pattes. "

Moins achevé que La Danse d'Issam de Paule Noyart sur le même sujet, Parfum de poussière de Rawi Hage illustre quand même très bien la folie de la guerre. Né à Beyrouth, l'auteur habite aujourd'hui à Montréal.

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2. Le Cafard. Éd. Alto, 2009, 389 p.

L'Hiver d'un exilé à Montréal

Rawi Hage est un Libanais bien établi à Montréal. La ville d'ailleurs sert de décor à son roman. On s'y reconnaît aisément. Les rues empruntées par les personnages nous sont familières et nous transportent dans un univers fréquenté par les immigrants, qui s'assemblent dans les bars de la Main Street, rue St-Laurent, pour fraterniser entre exilés. Les mots des uns adoucissent les maux des autres.


Des chroniqueurs ont comparé cette œuvre à celle de grands auteurs comme La Métamorphose de Kafka ou La Faim de Knut Hamsun. Le roman de Rawi Hage ressemble plutôt aux Contes des mille et une nuits. Comme Schéhérazade, le protagoniste se raconte des histoires pour ne pas s'enlever la vie. D'ailleurs, il a tenté de se pendre à un arbre, mais la branche n'était pas assez haute pour causer sa perte. Son geste lui a valu d'être interné pour troubles mentaux.

À sa sortie de l'hôpital, il fut soumis à un suivi par une psychologue. Obliger de se confesser ne fait pas partie du rituel de la culture du héros. Même si Geneviève, la psy, éprouve une grande empathie pour son cas, ce n'est pas suffisant pour délier la langue de son patient. Tout de même, elle réussit à lui arracher des bribes de sa vie, en particulier, à dénouer les liens qui l'unissent à sa famille. Si on a quitté un pays, ce n'est pas parce qu'on y était heureux. Et oublier ses malheurs permet de surnager, surtout quand la violence était au menu du quotidien.

Vivre dans un monde de fusillades oblige à se métamorphoser en coquerelle ou cafard, comme le précise le titre, pour se cacher de ses bourreaux que le roman décrit dans ce qu'ils ont de plus abject. Le héros est quand même curieux de les connaître pour mieux les combattre, voire de les suivre et de s'introduire dans leur domicile pour s'accaparer de ce qui pourrait l'aider à se venger de l'injustice dont il est victime. L'art de voler enrichit l'arsenal de celui qui veut profiter des armes de l'ennemi. Et si c'est un revolver, gare aux indésirables. Mais quand on n'a pas l'âme d'un tueur, on reste aussi vulnérable. Il faut du guts pour se glisser dans la peau d'un meurtrier.

Le roman s'attache à cet univers glauque qui confronte les exilés. On ne leur fait pas de quartier et, confinés à des logements miteux, il faut de la résilience pour affronter l'adversité qui attend ceux qui se sont choisi un pays d'adoption. L'auteur a réussi un bon coup en transplantant son décor à Montréal en hiver. Les rigueurs de la saison s'arriment bien aux états d'âme des personnages. La neige qui se durcit devient un traquenard pour les piétons autant que l'exil peut en être un pour les immigrants. La comparaison est fort judicieuse.

Le plus important de l'oeuvre, c'est l'attachement de l'auteur au profil psychologique de ses protagonistes. Il les montre dans toute leur vulnérabilité, voire dans leur folie pour se créer un monde et dans leurs mensonges pour éviter le couperet. Le roman évite la dichotomie religieuse. Avec aplomb, il décrit uniquement l'âme de gens qui tentent d'être heureux, d'aimer et d'être aimés où ils ont choisi de vivre avec une tuque, des mitaines et des combines.

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