Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Hivon, Julie.

Ce qu'il en reste. Éd. XYZ, 1999, 213 p.

La Crise de la vingtaine

Depuis quelques années, on se tourne vers les jeunes de la vingtaine qui regimbent contre la situation dévolue aux adultes. Chacun veut refaire le monde car, d'Aristote à Hubert Reeves, personne n'a perçu l'humanité mieux que la génération des 20 à 30 ans d'aujourd'hui. (?) Il n'est pas question pour eux de gâter leur âme blanche au contact d'une société pourrie. Patrick Brisebois a soulevé cette dynamique dans Que jeunesse trépasse, et Julie Hivon a fait de même dans Ce q'il en reste.

Juliette est la narratrice de ce roman. Âgée de 22 ans, elle a quitté ses parents après le suicide de son frère Nicolas et s'est installée dans un appartement de deux pièces du Plateau Mont-Royal, où, espérant vivre de son art, elle s'adonne à la peinture. Un soir de spleen, elle rencontre dans un bar Rose et Olivier, un couple de jumeaux qui l'envoûtent. En panne de transit après avoir eux aussi quitté leurs parents, ils trouvent refuge chez Mauve, surnom que s'est donné la narratrice pour l'occasion. Cette auberge espagnole compte en plus, sans parler de la chienne, un ami peintre venu les rejoindre pour s'épargner les frais d'un loyer et la femme d'un diplomate qu'ils ont sauvée à la suite d'une agression sauvage qui l'a rendue amnésique.

Comme pour son film, Chocolats, crème glacée et autres consolations, Julie Hivon fonde l'unité de son roman sur l'amitié. Dans la vingtaine, le cercle d'amis prime sur les liens familiaux. Les protagonistes forment donc une bande aussi serrée que celle des Trois Mousquetaires. " Un pour tous, tous pour un " pourrait aussi leur servir de devise. C'est ensemble qu'ils mettront en branle les moyens qui assureront leur indépendance pécuniaire. Moins défaitiste que l'œuvre de Patrick Brisebois, ce roman fait ressortir le dynamisme qui anime généralement les jeunes qui veulent se faire une place au soleil. Au-delà de leurs préoccupations matérielles, on sent aussi le besoin de réussir leur vie. Pour y parvenir, ils règlent leurs comptes avec le passé, si douloureux soit-il. Comme l'inceste et le suicide composent la toile de fond de leur courte existence, les assises de l'avenir affichent des fissures dangereuses, d'autant plus que la mort, telle une secousse sismique, vient ébranler leur espoir. Heureusement, les naissances au sein du groupe leur apprennent qu'il faut assurer la suite du monde avec ce qu'il reste de ce que l'on a reçu.

En somme, ce roman fait le tour de l'univers des jeunes au seuil de leur vie adulte alors qu'ils sont encore aux prises avec un passé qui n'est pas garant de l'avenir. Ce canevas soutient habilement une histoire tragique à laquelle on survit grâce à la générosité d'autrui. Malheureusement, on ne peut en dire autant de l'écriture. Elle manque de minutie alors que le dénouement relève plutôt de l'art du résumé que de la narration. Ces faiblesses n'ont pas suffi au jury pour s'abstenir d'accorder le prix Jacqueline-Déry-Mochon à l'auteure de ce roman.