Paul-André Proulx

Littérature Québecoise

Beauchemin, Yves

Charles le téméraire. Éd. Fides, 2004, 684 p.

L'Enfance des délaissés

Charles le téméraire évoque l'initiation d'un petit Montréalais aux dures réalités de l'existence. Les familiers du quartier Hochelaga reconnaîtront le milieu autour duquel tourne la vie du héros, tels le métro Frontenac, l'école Pierre-Dupuy et l'église Saint-Eusèbe.

Charles Thibodeau est le fils d'un alcoolique invétéré. Avant même de fréquenter l'école, il perd sa sœur et sa mère. Élevé par un père cruel et une belle-mère dépourvue d'instinct maternel, il fuit ce couple devenu menaçant pour sa sécurité. Il se retrouve alors au sein de la famille Fafard, qui débourse cinq mille dollars pour en avoir la garde. Quand il devient adolescent, la somme apparaît insuffisante aux yeux d'un père sans emploi. Charles offre donc de le dédommager pour son départ à même ses économies, amassées grâce à un travail de livreur auquel il s'adonne après les cours. Il doit même recourir à des combines criminelles afin de satisfaire l'appétit pécuniaire grandissant de son géniteur, qui menace d'incendier la quincaillerie de M. Fafard si jamais les rentrées d'argent ne s'avèrent pas satisfaisantes. Bref, ce canevas met en branle toute la dynamique d'un enfant maltraité, qui prend sur ses épaules la protection de sa famille d'accueil.

Heureusement, le héros peut compter sur ses parents adoptifs et sur le notaire Michaud pour se tirer du bourbier où son père et d'autres adultes mal intentionnés l'ont enlisé. L'auteur crée ainsi une dichotomie tranchée qui divise le monde en bons et en méchants. Cette catégorisation trop nette relève d'une économie qui fait fi de la complexité de l'être humain. Hormis cette réduction, l'œuvre reste une invitation à la bonté pour suppléer aux carences des adultes irresponsables.

Charles le téméraire est une réplique du Matou. Dans les deux œuvres, il s'agit d'enfants délaissés qui tentent de rendre la monnaie aux âmes charitables qui les ont secourus. Cependant l'auteur élargit l'horizon du héros de son dernier roman. Charles ne triomphe pas seulement des obstacles qu'on lui crée. Grâce à son goût de la lecture que lui a transmis une institutrice et à son admiration pour Balzac que lui a communiqué le notaire Michaud, il se sent la force d'affronter la vie avec succès. Ses aspirations dépassent le cadre d'une quête personnelle. Comme Rastignac dans Le Père Goriot. il pourrait s'exclamer : " À nous deux Montréal ! " Dans le prochain roman déjà prévu, il tentera sûrement de s'impliquer au sein de la communauté montréalaise, sinon au niveau national.

Ses études, ses amis, ses amours, ses emplois d'étudiant, ses lectures, sa passion pour les chiens et la criminalité composent son quotidien. C'est très complet, mais souvent redondant. À toutes les dix pages, l'auteur se sent obligé de souligner la générosité de la famille Fafard. Ça lasse à la longue. Enfin, ce roman convient à un large public malgré ses 684 pages. C'est donc d'une lecture facile, accrue par la psychologie sommaire des personnages. Anges et démons se livrent un combat à finir dans les entrelacs de séquences inspirées des procédés utilisés pour les téléromans. En somme, ça plaira à ceux qui aiment le triomphe des bons sentiments sans trop questionner la forme qui les véhicule.