Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Archambault, Gilles.

Courir à sa perte.

Éd, du Boréal, 2000, 204 p.

Les Vies affadies

Les œuvres récentes de Gilles Archambault, né en 1933, sont des analyses du temps qui a passé. Le rétroviseur de l'auteur lui renvoie un piètre paysage de l'humanité. À l'âge des bilans, il tire une conclusion peu flatteuse de notre passage sur terre. L'homme se laisserait entraîner corps et âme par le courant de la vie. À l'automne de son existence, il n'y aurait rien qui vaille à son actif.

C'est le cas de Jacques dans Courir à sa perte. Le titre est des plus significatif de la pensée de l'auteur. Le héros est un célibataire de 65 ans. Serveur dans un restaurant depuis 30 ans, il exerce son métier avec conviction après avoir tenté en vain de joindre le rang des artistes de la scène et de la chanson. Il a connu jadis une liaison avec une femme mariée. Ce fut l'amour de sa vie. Il s'est contenté de ce bonheur d'occasion en respectant les contraintes d'une liaison interdite qui n'était pas sans susciter querelles, renoncements et jalousie. Après sa mort, il se satisfait de son quotidien ennuyeux, refusant même de s'investir auprès de ceux qui lui portent de l'intérêt. Quoique son entourage souligne ses qualités avec insistance, il persiste à se déprécier. C'est un être tout en paradoxes qui semble vouloir attirer la pitié. Pourtant, ce n'est pas le dernier venu. Ses études auraient pu le rendre fier de lui-même. Il tient en effet un discours hexagonal. Au Québec, nous ne connaissons pas de fesse-mathieux qui se magnent pour accroître leur oseille. Nous avons plutôt des Séraphins qui se grouillent pour s'en coller le plus possible. Il faut dire que Gilles Archambault porte à la France une admiration qui occulte le franglais de ses cousins.

L'auteur de ce roman voulait-il faire de Jacques le portrait du Québécois pas assez ambitieux et tenace comme Le Vieil Homme d'Ernest Hemingway? Voulait-il nous détourner de l'adage qui dit que nous sommes nés pour un petit pain? Il est difficile de percer les intentions profondes d'un écrivain. Quoi qu'il en soit, on peut affirmer qu'il s'agit aussi d'une réflexion sur notre finalité. Le héros rappelle un peu Werther de Goethe quand il dit que " tout dans cette vie aboutit à des niaiseries; et celui qui, pour plaire aux autres, sans besoin et sans goût, se tue à travailler pour de l´argent, pour des honneurs ou pour tout ce qu´il vous plaira, est à coup sûr un imbécile. " Cette vision réductrice de la vie est fort dangereuse si l'on se fie au sort qu'a connu le jeune héros germanique.

Cependant Jacques ne porte pas les stigmates de la souffrance aiguë de Werther. Ce n'est pas un héros romantique, ni même sympathique. En somme, le vieux serveur pratique une fausse humilité qui le tient à l'écart d'une société qu'il juge sévèrement. Gilles Archambault le présente en toute simplicité. Aucunement adepte du coup d'éclat, l'auteur marche à pas feutrés pour surprendre son personnage en flagrant délit de contradictions. Sa manière a de la classe. Mais cette délicatesse aplanit le relief qui rendrait l'œuvre plus intéressante.