Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Beauchemin, Jean-François

Garage Molinari. Éd. Québec Amérique, 1999, 258 p.

Les Valeurs familiales

Quand on devient orphelins, la vie ne laisse pas le choix de s'organiser. C'est ce qui arrive aux deux héros de Jean-François Beauchemin. Dans un roman précédent, Comme enfant je suis cuit, les parents mouraient. Dans celui-ci, les deux frères s'organisent pour mener une vie qui soit la plus familiale possible. Ils manifestent un jugement exceptionnel pour des enfants élevés par un père alcoolique et une mère qui se prostituait. Malgré cette invraisemblance, ce roman vient donner une belle leçon de courage. Il est à classer parmi les œuvres positives, exemptes de mièvrerie.

L'aîné de 19 ans décroche un emploi de chauffeur pour le propriétaire du Garage Molinari, détenteur d'une flotte d'autobus scolaires. Ce travail protège ces deux jeunes de la mendicité, mais le cadet de six ans ne se contente pas de cette sécurité pécuniaire. Il cherche aussi sa sécurité affective en poussant son frère à marier la voisine de palier afin de vivre dans un milieu qui aurait au moins une apparence familiale. Tous les moyens déployés pour arriver à ses fins ne sont pas sans faire sourire. Ce roman souligne l'importance de la famille, et pas n'importe laquelle, celle qui s'inscrit dans les rites qui la consacrent, c'est-à-dire le mariage religieux.

On peut comprendre ce désir du jeune qui a souffert d'instabilité émotive. On peut même se demander si cette instabilité n'a pas affecté son esprit. À l'école, il éprouve rapidement un retard pédagogique, qui décourage son frère aîné. Heureusement, tout dans ce roman prend des allures de fée. Monsieur Molinari entreprend l'instruction du jeune garçon avec des moyens qui vont réussir à combler un peu son déficit. Même l'aîné n'est pas à l'abri de certains problèmes psychologiques. La vue d'un robinet le perturbe tellement qu'il se sent obligé d'en faire couler l'eau. Ce sont deux jeunes qui subissent finalement les conséquences d'une enfance lourdement hypothéquée par ce qu'ils ont vécu. Évidemment la lecture du roman précédent aiderait à la compréhension de ce qui les affecte.

L'auteur rend attachants ces deux jeunes. En dépit des malheurs évoqués, ils ont une vocation pour le bonheur. Au milieu de leur quartier urbain et ouvrier, ils savent découvrir la joie de vivre en se rendant sensibles aux cris des insectes et des oiseaux, qui leur font oublier la vie ferroviaire environnante. Cette invitation au bonheur, rédigée avec un sourire et un amour communicatifs, est nullement superficielle. Elle présente tous les aspects de la vie, autant dans sa finitude et que dans sa transcendance. Et son propos est défendu par une écriture maîtrisée et poétique.
L'auteur a raconté une belle histoire remplie de générosité. Avec Garage Molinari, il privilégie un amour de la vie qui s'inscrit dans le cadre des valeurs traditionnelles.