Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Demers, Lise

Gueusaille. Éd. Lanctôt, 1999, 219 p.

La Pauvreté au féminin

Qu'advient-il des femmes abandonnées par leur mari? Si elles ont perdu en plus emploi et santé, elles parcourront sûrement les rues de la ville, en l'occurrence Montréal, à la recherche d'un petit quelque chose pour les retenir à l'existence. C'est le cas de Denise, une femme de 45 ans.

Dans la noirceur de la marginalité, cette pauvresse, une " gueusaille ", projette son ombre dans les ruelles, les parcs et les terrains vagues qui acceptent bien sa présence alors que celle-ci est devenue trop lourde à porter pour suivre les activités de ses amies, toutes à l'abri des soucis d'argent. La grisaille de sa vie ne résulte pas d'un manque de fréquentation scolaire. Au contraire, son curriculum vitae effraierait un éventuel employeur.

Le destin placera heureusement sur sa route une âme sœur qui l'accompagnera dans son malheur. Olga, une vieille émigrée de Russie, réconfortera l'héroïne, mais, surtout, l'initiera à des pratiques pour protéger sa dignité. Avec un instinct aguerri par les conflits armés de son pays d'origine, elle lui montrera à identifier ce qui rend l'adversité moins déprimante. Les deux femmes ne sont pas des sans-abri. Elles sont victimes d'hommes qui leur ont laissé la pauvreté en héritage. Le dénouement du dilemme ne s'aligne pas sur une rédemption pécuniaire. Au-delà de l'avoir, l'auteur met de l'avant les liens de solidarité qui sauvent l'âme de la déroute, comme la générosité d'un couple de restaurateurs et, surtout, l'amitié déterminante de François, un sans-abri qui vit dans son auto.

Comme Danielle Roger dans Le Manteau de la femme de l'Est, Lise Demers sonne l'alarme pour attirer l'attention sur certaines conditions féminines. Avec un réalisme à l'écart de la sensiblerie et dans un style dépouillé, l'auteur parcourt en long et en large les couloirs de la misère sociale qui mènent la femme délaissée au bord du gouffre de la névrose.