Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Gagnon, Alain.

Jakob, fils de Jakob. Éd. Triptyque, 2004, 166 p.

Un rescapé de la Shoah

En 1945, on fermait le camp d'Auschwitz. C'était la fin d'un cauchemar pour les Juifs et aussi pour l'Occident. Mais peut-on oublier les horreurs de la guerre? Alain Gagnon s'applique à répondre à cette question dans son dernier roman.

Jakob, fils de Jakob raconte l'histoire d'un juif de douze ans, rescapé d'un camp de la mort, où tous les siens ont péri. Adopté par les von Stauffenburg, il échappe ainsi au sort qui l'attendait. Il est heureux au sein de cette cellule familiale où il est traité comme un membre à part entière. Malheureusement, le bombardement de Dresde par les Alliés disperse la famille tandis que Jakob Eliyakim s'embarque sur un bateau en partance pour le Canada, où habite le frère de sa mère. Malgré l'apparente insensibilité de ce jeune juif qui s'amène à Montréal, on devine sa vulnérabilité. Pour garder son équilibre, il s'est adapté à une situation qui semblait trahir les siens. Même si les stigmates de la Shoah sont invisibles, elles ne tarderont pas à se manifester quand il sera bien établi à Montréal et marié à une femme qu'il n'aime pas.

Le bonheur est un port inaccessible quand le vent du malheur drosse la vie dans des méandres dangereux. Or l'espoir renaît quand Jakob rencontre par hasard à Montréal Helmut von Stauffenburg, le fils de sa famille adoptive, qui lui apprend que sa sœur Tandja, violée par les Alliés américains, est toujours vivante. Il la fait venir au Canada et refait sa vie avec cette femme qui le rend heureux. Mais quand l'horreur de la mort a marqué l'amont, l'aval s'en ressent. En fait, Jakob vit dans un cercle vicieux, où il ne peut qu'ériger son propre camp d'extermination pour subjuguer les maux de son âme.

Le roman d'Alain Gagnon lance une invitation pressante à réfléchir sur l'euthanasie et le suicide pour colmater les trous creusés par la bêtise humaine. Le propos est soutenu par une langue d'une fluidité incomparable. Bien charpenté aussi, chaque anecdote qui vient l'étayer forme un chapitre construit comme une nouvelle au dénouement saisissant. Comme l'œuvre est déguisée en bref récit, il peut laisser le lecteur sur sa faim. Ça défile tellement vite que l'on croirait lire parfois le résumé d'un livre. Mais le plaisir de lire Jakob, fils de Jakob demeure entier, comme lire La Nuit de Élie Wiesel sur le même sujet.