Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Barcelo, François

J'enterre mon lapin. VLB éditeur, 2001, 120 p.

La Déficience mentale

La déficience mentale constitue un filon que les romanciers exploitent avec une main assez heureuse si je me fie à ce que j'ai lu. Que ce soient Confessions d'un barjo, Vol au-dessus d'un nid de coucou, Mon Frère de la planète des fruits ou Des fleurs pour Algernon, toutes ces oeuvres soulignent le potentiel qui mériterait aux victimes un meilleur sort et une plus grande attention de la part d'autrui.

Dans J'enterre mon lapin, François Barcelo apporte sa contribution pour que la déficience des nôtres soit davantage respectée. Il montre les possibilités encore grandes de ces handicapés intellectuels, en l'occurrence celles de Sylvain Beausoleil que l'on insère dans la société en lui fournissant un emploi simple dans une agence gouvernementale de la gestion des greffes. En dépit de sa déficience mentale et de son mutisme par surcroît, il s'acquitte fort bien de sa tâche, qui consiste à glisser les lettres que l'on envoie aux futurs greffés dans des enveloppes qu'il cachette. Et, en quittant son travail, il va les déposer à la poste. À la maison, il se montre tout aussi efficace. Il vit seul en défrayant toutes les dépenses afférentes à son logement. Mieux encore, il projette de s'acheter une voiture. La déficience annihile ni les ambitions ni le désir.

Ce jeune homme de 25 ans s'épanouit malgré ses maigres moyens. Son beau-frère, qui lui a donné un ancien ordinateur, va l'initier à cette technologie qui s'avérera libératrice. Clique ici, clique là et le voici prêt pour le traitement de textes. Que va-t-il écrire? Un livre, rien de moins. Comme Sylvain le dit lui-même, " écrire un livre c'est plus facile que d'en lire. On n'a pas besoin de se demander ce que ça veut dire parce qu'on le sait d'avance. " Ainsi, chaque jour, il confie son quotidien à son ordinateur, croyant même qu'il écrit sans fautes à cause de la fonction correctrice de son appareil.

Son handicap ne l'a pas privé du sens de la déduction. Il réalise que l'on profite des faiblesses du système pour recevoir une greffe en priorité. Lui-même sera soudoyé pour que certains noms figurent en tête de liste des bénéficiaires d'un organe afin d'éviter les délais qui occasionneraient leur mort. Le roman renseigne avec humour sur les tactiques déloyales pratiquées au royaume des greffes. Déjà un " reject " à cause de son handicap, le héros se voit imposer en plus le mensonge d'autrui. Dès l'âge de trois ans, il a vécu dans un monde occulte, où on a abusé davantage de sa condition qu'on ne l'a protégé. Souvent la vérité éclate en pleine lumière au moment où on s'en attend le moins. Et c'est là qu'elle fait vraiment mal, surtout quand son père qu'il croyait mort vient sonner à sa porte.

Ce qui s'annonçait comme une lecture amusante à cause de l'écriture enfantine de Sylvain se transforme à notre insu en drame épouvantable : un père rend son enfant muet et déficient après avoir tué sa femme. Quand le héros apporte la disquette de son texte à son beau-frère, on comprend sa réaction : " J'espère que tu n'as pas montré ça à quelqu'un. " Un loisir a contribué à sonner l'heure de la vérité. Et comme on dit : " La vérité sort de la bouche des enfants " et des déficients, faudrait-il ajouter. Il ne faut pas croire que ceux-ci enterrent nécessairement leur lapin, c'est-à-dire qu'ils ne comprennent rien à la vie.
Et comme toujours, la plume de Barcelo est efficace. Par contre, la trame romanesque n'est pas assez serrée. Des personnages surgissent de partout comme un cheveu sur la soupe. C'est le désavantage des romans trop courts.