Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Hébert, Anne

Kamouraska. Éd. du Seuil, Coll. Points, 1997, 245 p.

Une Québécoise du X1Xe siècle

Kamouraska est un roman historique dans le sens qu'il est campé dans un siècle très mouvementé de notre histoire, soit le X1Xe siècle. D'ailleurs, certains personnages ont existé, tel le Dr Nelson. Mary Soderstrom a récemment écrit la biographie de ce médecin, un Anglais qui a épousé la cause des patriotes de 1837.

Rares sont les romans qui s'attachent à cette période en donnant la parole à une femme. Élisabeth, l'héroïne, refuse donc le carcan que l'on lui impose. Malheureusement mariée sous pression à un ardent défenseur de la suprématie du mâle, en l'occurrence le seigneur de Kamouraska, elle projette de le faire tuer par un jeune médecin de Sorel, qui n'est pas à son premier fait d'armes comme patriote de la rébellion de 1837-1839. Pour éviter l'échafaud, elle n'a pas le choix de se remarier avec un important notable, qui détient le pouvoir de lui épargner la peine capitale.

C'est ce dont Élisabeth se rappelle au chevet de son mari agonisant. Le génie de cette oeuvre, c'est de présenter le bilan d'une vie mouvementée à partir des événements les plus marquants, lesquels ne s'insèrent pas nécessairement dans un ordre linéaire. Une fois que l'on a compris la technique, le roman qui semble rébarbatif devient facile à lire. C'est d'ailleurs l'œuvre la plus réussie de l'auteure décédée en l'an 2000.

En gros, Anne Hébert montre l'affranchissement d'une femme des années 1830. Cette dernière s'oppose au pouvoir des hommes pour vivre pleinement selon sa nature. Hélas, pour sauver sa peau, sa lutte féministe se termine en queue de poisson. Il reste qu'elle s'est attaquée à la condition féminine d'un siècle qui ne pouvait même pas penser la remettre en question. L'héroïne est l'être exceptionnel qui a osé le faire à ses dépens. En ce sens, cette oeuvre rejoint l'esprit d'Angeline de Montbrun de Laure Conan, qui déplorait que les hommes des années 1830 n'étaient pas à la hauteur des aspirations des femmes :
" Quelle est donc cette prétendue sagesse qui n´admet que le terne et le tiède, et dont la main sèche et froide voudrait éteindre tout ce qui brille, tout ce qui brûle? "

L'écriture d'Anne Hébert convient bien pour ramasser un idéal dans un tout inséparable. Elle n'opère pas de compartiments, elle moule pour donner une oeuvre compacte qui n'attire pas le regard sur un point en particulier. Bref, c'est une oeuvre qui dénonce les conditions qui ont relégué la femme à sa seule fonction de génitrice. Laure Conan et Anne Hébert sont curieusement deux célibataires qui ont déploré les carences des mâles. Est-ce pour cela qu'elles ne se sont pas mariées? Laure Conan a répondu oui à cette question par l'entremise de son héroïne.