Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Poliquin, Daniel.

La Kermesse. Éd. du Boréal, 2006, 328 p.

Un soldat de retour à la vie civile

La Première Guerre mondiale sert de toile de fond à ce roman pour illustrer la difficulté d'adaptation d'un militaire réformé à l'instar du héros d'Un simple soldat de Marcel Dubé. Il s'agit d'un jeune de la Mauricie qui s'est établi à Ottawa à son retour à la vie civile.

Dans un premier volet, l'auteur exhibe la personnalité des personnages. La présentation se révèle fastidieuse à cause de la méconnaissance des liens qui existent entre eux, mais le caractère d'authenticité des portraits maintient quand même notre intérêt pour les protagonistes, tous issus de milieux qu'ils veulent quitter. Ils choisissent un tremplin urbain pour se réaliser, en occurrence la capitale fédérale. Lusignan, le héros, s'y emmène après ses études à Nicolet. Grâce à du piston, il décroche un emploi de fonctionnaire avant de s'enrôler dans l'armée comme rédacteur et traducteur.

Le deuxième volet forme la voûte de ce triptyque en entrecroisant la destinée de chacun. La rencontre capitale a lieu alors que le héros est initié à la fellation par Essiambre d'Argenteuil, un frère d'armes mort au champ d'honneur. Lusignan le considère comme l'unique personne qu'il n'ait jamais aimée. Après la guerre, il tente de joindre ceux qui l'ont connu, en particulier Amalia Driscoli. Une kermesse organisée par une paroisse d'Ottawa lui permet de la coudoyer sans toutefois lui fournir l'occasion de la revoir. Il n'aura pas plus de chances auprès de Concorde, une bonne qui le rejette pour son manque d'engagement. Commence alors la descente aux enfers du héros. Heureusement, il trouve sur son chemin le père Mathurin, son ancien professeur, qui lui offre l'hospitalité de sa communauté pour le protéger de la clochardise.

Enfin, le roman indique comment les contraintes de la vie réduisent au silence les aspirations les plus légitimes. Amalia, qui voulait gravir les échelons sociaux en profitant de ses accointances auprès du Gouverneur général, le fils de la reine Victoria, doit gagner sa vie en exploitant ses talents d'artiste; le père Mathurin obtient une cure au lieu d'une obédience chez les Papous, et les tergiversations de Lusignan le reconduisent en Mauricie où il tente de refaire sa vie.

Comme Nicolas Dickner dans Nikolski, Daniel Poliquin exploite la quête de l'ailleurs pour se donner une identité. En somme, il trace le profil des gens en transit vers un plus-être dans le cadre d'une éducation à l'eau bénite et d'une époque qui s'échelonne de 1910 à 1939.