Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Poulin, Jacques

L’Anglais n’est pas une langue magique . Éd. Leméac, 2009, 156 p.

Le Cadet admiratif de l’aîné

Jacques Poulin illustre le complexe du cadet qui admire son aîné. Son héros s’appelle Francis, le frère de Jack Waterman, un écrivain louangé par tous les chroniqueurs. L’auteur analyse cette dualité à travers le célèbre duo des frères Richard, des hockeyeurs qui ont fait les beaux jours des Canadiens de Montréal. Le jeune Henri a subi la pression de la renommée de son frère Maurice, symbole des rêves de toute une génération. Sera-t-il aussi performant que lui ? se demandent les partisans.

La situation de Francis est pire que celle des frères Richard. Il fait face à un écrivain reconnu alors que lui-même se contente de lire des bouquins à ceux qui lui demandent ce service, à l’instar de la lectrice de Raymond Jean ou du « liseur » de Bernhard Schlink. Francis n’est pas un lecteur quelconque. Il connaît les livres susceptibles d’apaiser les dépressifs, voire de ressusciter les comateux. Tantôt il lit L’Avalée des avalés de Réjean Ducharme, tantôt il récite des poèmes d’Alain Grandbois pour stimuler une équipe de hockey fictive, dont il serait le gardien de but masqué qui lirait en attendant de stopper les tirs du fameux Gordie Howe : « Nous nous sommes montrés plus glorieux de nos blessures que de nos victoires. » Empathique à l’humanité souffrante, il accourt même au volant de sa Mini Cooper pour débusquer ceux qui ont besoin de son aide en dépit de ses démêlés avec la « Police montée ».

En s’appuyant sur l’intertextualité, l’auteur décrit le cheminement qui galvanise la fragilité humaine. En particulier celui de Limoilou, qui a raté son suicide dans La Traduction est une histoire d’amour. De son refuge de l’île d’Orléans, elle renoue avec la vie grâce aux nouveaux intérêts que Francis a suscités chez elle en lui lisant Far West de Meriwether Lewis et William Clark. C’est l’occasion pour l’auteur d’établir la francité de l’Amérique, qui fut exploré jusqu’au Pacifique par des explorateurs français. Grâce aux Amérindiens, comme les Mandans, « la traversée du continent » s’est effectuée sous un étendard français, qui devrait susciter la fierté de cette langue, une langue plus magique que l’anglais. En filigrane se projette tout l’amour de l’auteur pour la littérature à l’instar de Bertrand Laverdure dans Le Lectodôme.

Mais on peut s’interroger sur le dénouement précipité, sur l’abandon du suspense amorcé comme mise en bouche, sur le grand nombre d’éléments informatifs, qui donnent parfois l’impression de lire un recueil de nouvelles tellement les liens sont poreux. Il reste que c’est tout de même vivant, voire humoristique par moments, et que l’écriture est un parangon de finesse.