Paul-André Proulx

Littérature Québecoise

Bunkoczy, Joseph.

La Tour. Éd. Trait d'union, 1999, 208 p.

Le Déterminisme architectural

La ville est un organisme hermaphrodite qui se reproduit sans cesse, laissant sa peau comme le serpent au profit d'une nouvelle qui dépayse ceux qui reviennent d'un long périple. Elle engloutit le paysage connu, présentant au temps une esthétique en continuelle transformation. Une ville ne se laisse pas appréhender au premier coup d'œil. Elle est tellement porteuse de sens qu'il est difficile de les saisir tous. Finalement, les habitants n'ont de leur ville qu'une vision approximative. Ce qu'ils perçoivent n'est qu'un élément qui porte leur histoire personnelle. Et Montréal est à ce titre très révélateur. Visiter cette ville, c'est faire le tour de l'Amérique en peu de temps.

Dans ce roman de Bunkoczy, c'est une tour qui devient l'âme d'un quartier, comme l'église donne au petit village toute son essence. Cette œuvre pourrait rappeler aux Montréalais le mât du stade qui a servi aux jeux Olympiques. Trônant au centre de l'arrondissement, il a ouvert le parc Maisonneuve à tous les happenings. Ces structures magistrales accaparent toute l'attention comme la Tour Eiffel. Bref, cet espace réduit la population à la promotion de sa structure. Dans La Tour, les habitants sont obsédés par le mythe engendré par cette construction phallique qui les domine. Est-elle synonyme de fatalité ou de rédemption ? Voilà le dilemme. La question souligne le mystère qui préside à leur destin.

Ingénieur de profession, cet auteur d'origine hongroise exploite ses connaissances pour montrer comment une ville peut ressembler à un thriller surréaliste. Il situe son intrigue dans un décor irréel, mais au centre d'un arrondissement entouré d'un espace qui s'attend à la visite du squatter avant l'arrivée du démolisseur qui viendra niveler les différences. Avant de perdre leur âme au profit de l'espace qu'on leur crée, les héros s'en prendront à l'énigme de cette tour devant laquelle s'arrêtent des limousines pour laisser couler leur flot de personnages, dont les femmes n'en ressortent pas. Pour répondre à un besoin primaire d'identité, Geme, Liane et Bus vont donc investir cette tour de 52 étages, défendue par des hommes-chiens. On ne s'installe pas dans la cour d'autrui sans établir un contrat social acceptable et profitable aux partis.

Malheureusement, le dénouement frustrera le lecteur que l'on n'informe pas assez pour conclure par lui-même. Avec une plume simple et précise, Joseph Bunkoczy a conçu un roman à saveur fantastique qui ne laisse rien présager de bon pour notre avenir. Annonce-t-il une civilisation tellement complexe que l'humanité n'aura comme choix que de supporter les jouets démoniaques qu'elle aura construits? Bref, c'est un roman inachevé, mais intéressant pour parer les prochains déterminismes.