Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Mavrikakis, Catherine.

Le Ciel de Bay City. Éd. Héliotrope, 2008, 292 p.

La Mélodie du bonheur états-unien

« Le temps arrange bien les choses », dit-on. Amy, l’héroïne du roman, constate le contraire. Rien ne meurt. Difficile de tourner la page quand le deuil est pris en charge par une mémoire qui défie le temps et le lieu.

Née aux États-Unis, l’héroïne, une juive élevée comme une catholique, vit le nez collé au camp d’Auschwitz, où furent conduits ses grands-parents. Cette filiation la retient de prendre son envol même si sa mère et sa tante ont choisi l’Amérique pour secouer cet atavisme. Sous la fumée des usines, le ciel mauve de Bay City ne parvient pas à étendre son voile sur les malheurs qui ont présidé à l’exil de ces femmes. Amy tente de s’accrocher à la vie américaine dans la maison de tôle de sa tante Denise et de son mari, un prêtre laïcisé. Mais en vain.

Devenue mère, elle veut réussir là où la sienne a échoué : déconnecter sa fille des spectres de l’holocauste ressenti à travers une épiphanie qui s’est manifestée jusqu’à Bay City dans le Michigan. Est-ce possible quand le silence divin se fait complice de l’horreur humaine ? Tout de même, son métier de pilote d’avion l’amène à vouloir concilier le ciel et la terre sans quoi elle juge inopportun de s’investir dans l’aventure humaine pour connaître une mort banalisée dans un hôpital contaminé par le clostridium difficile. Contrairement à son chanteur préféré, Alice Cooper, qui a écrit les paroles de Welcome to My Nightmare, elle veut protéger sa fille du cauchemar qui lui empoisonne l’existence.

Avec une plume incisive, l’auteure navigue en plein drame shakespearien. Ses personnages cherchent un sens à leur vie de malheurs en se fiant, comme la famille Trapp, à l’oncle Sam qui, à première vue, semble offrir un monde qui fonctionne rondement comme les magasins K-Mart, où l’héroïne a travaillé.