Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Tibo, Gilles.

Le Mangeur de pierres. Éd. Québec Amérique, 2001, 191 p.

L'Île de l'intolérance

Un cap en forme de main pare une île du fleuve Saint-Laurent, sur laquelle vivent des pêcheurs peu amènes à cause de leur isolement et du décor austère qui ont façonné leur âme. Si par malheur naît un membre différent de la communauté, comme l'admet la grand'mère à propos de son petit-fils, il sera rejeté au point de vouloir quitter l'île. C'est ce qui arrive à Gravelin qui n'est pas attiré par la mer.

Incompris, même de ses parents, il devient un primitif enchaîné aux éléments terrestres, en particulier au monde des pierres dont il fait son régal. Comme Prométhée qui trouvait une odeur humaine aux pierres, Gravelin, lui, leur trouve un goût. En fait, ce roman est un conte mythologique pour adulte. Eschyle vient de trouver un digne disciple en Gilles Tibo.

Cet auteur a fait de son héros un être doublement enchaîné à cause de son mutisme, voisin de l'autisme. Les oiseaux de mer sont par contre sa consolation. Ils ne viennent pas lui manger le foie. Au contraire, leur chair sert à le nourrir et leur sang à le désaltérer. Même leurs plumes contribueront à faire converger l'amour vers le héros, qui les sème, comme un petit Poucet, de sa belle jusqu'à son antre. Seulement compris de sa grand'mère, qui s'occupait des enfants de l'île, il jette son dévolu à sa mort sur Élisabeth à qui on a confié de prendre la relève. Son apprivoisement, quoique malhabile, est concluant. C'est leur malheur qui les attire et qui les pousse vers une fuite risquée, qui laisse présager que ce roman connaîtra une suite.

Ce conte magique rappelle ceux de notre enfance. Une fois encore, la bêtise humaine s'acharne sur les enfants comme le loup sur le petit chaperon rouge. Dans une langue poétique, l'auteur dénonce l'intolérance comme John Steinbeck dans Des souris et des hommes.