Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Côté, Jacques.

Le Rouge idéal.
Éd. Alire, 2002, 429 p.

La Nécrophilie, une dérive baudelairienne.

La Société des poètes disparus est un film de Peter Weir qui se passe dans un High School, où un professeur a réussi à emballer ses élèves pour la poésie. Plusieurs d'entre eux formèrent même un cercle littéraire secret afin que leur engouement pour cette discipline préside dorénavant à leur cheminement. Comme il arrive dans un tel contexte, certains se laissent subjuguer tellement par leurs sujets d'études qu'ils deviennent dangereux pour leur entourage.

Dans Le Rouge idéal, Jacques Côté aborde cette possibilité sous la forme d'un polar. Supervisés par un professeur émérite, des étudiants du Séminaire de Québec se regroupent au sein d'un cercle, baptisé justement thanatos, afin de s'apprivoiser à la réalité de la mort. Scrutés à la loupe, les textes pessimistes des grands auteurs, tels Baudelaire, Cioran et Camus, éveillent en peu de temps les pulsions de mort d'un étudiant en équilibre précaire. Comme dans Les Fleurs du mal, l'adulateur de la femme devient le profanateur qui tente de lui " infuser son venin ". Pire que la transmission de la syphilis, la dérive extrême reliée au thanatos dans ce polar aboutit à la nécrophilie.

Les détectives responsables de l'enquête ont du fil à retordre pour remonter la filière qui conduit à l'assassin des cégépiens. Avant de trouver sa piste, ils doivent évaluer les soupçons qui pèsent sur une multitude de suspects. Dans leur travail, ils sont soutenus par le médecin légiste qui réussit à établir un certain profil de celui qu'il recherche à cause des méthodes employées. La main arrachée à un cadavre, par exemple, ne peut être l'œuvre que d'un expert. Donc, avant d'apprendre l'existence de ce cénacle, les enquêteurs de la SQ piétinent et sont même gênés dans leur travail par le corps policier municipal, frustré que l'enquête ait été confiée à des collègues relevant d'une autre instance. Avant que ces différentes brigades ne s'entendent, le psychopathe continue de perpétrer ses crimes sordides afin de découvrir " la fleur, comme l'a écrit Baudelaire, qui ressemble à son rouge idéal ".

Jacques Côté a eu l'idée heureuse en associant un polar à la littérature et à la philosophie, tout en respectant les normes de l'art romanesque. Son œuvre pourrait être une mise en garde contre les dérives funestes de l'enseignement. Professeur lui-même, l'auteur a sûrement réfléchi à la responsabilité qui incombe à ceux qui dispensent le savoir comme l'a fait Gilbert Cesbron dans Notre Prison est un royaume. Mais il s'agit avant tout d'une vraie enquête policière, menée avec maîtrise. Le portrait des policiers est bien esquissé, et leur travail est présenté avec méthode, en particulier celui des médecins légistes que l'Américaine Kathy Reich a fait connaître aussi par ses romans. La ville de Québec s'impose dans cette œuvre bien construite. Le travail policier doit s'ajuster à sa géographie, qui s'étale du pied d'une falaise à son sommet avec le Château Frontenac. Le Rouge idéal est bien incrusté dans le terreau de cette ville, mais reflète aussi les particularités sociales qui prévalaient en 1979.

En somme, un tour de ville qui s'arrête à ses institutions scolaires et policières, à ses bars et aux jeunes punks qui les fréquentent. Écrit dans une langue élégante, ce roman témoigne d'un milieu bien mouvementé de la capitale provinciale