Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Pelletier, Maryse.

L'Odeur des pivoines. Éd. La Courte Échelle, 2000, 172 p.

La Fragilité des couples

Florence est condamnée. Elle sait qu'elle va bientôt mourir d'une sclérose. Aura-t-elle même le temps de voir refleurir les pivoines au printemps? L'hiver est dur avec ses tempêtes de neige. Quand cette saison devient l'image de sa vie, il est temps de tirer les conclusions avant qu'elle ne s'achève. C'est à quoi s'applique cette femme malade en écrivant le roman que nous lisons par-dessus son épaule. C'est une leçon de narration qu'elle donne en même temps qu'elle raconte une histoire magnifique sur la fragilité des couples.

Romain, son héros, est un homme de théâtre, qui invite trois couples d'amis chez lui à la campagne, par un soir de tempête d'hiver. Il faut comprendre que rien n'est gratuit dans la vie. Ce repas auquel ils sont conviés est offert en vue de servir les intérêts du héros, qui envisage de se présenter comme directeur du théâtre d'une compagnie renommée. Même si cet homme suffisant dégage une confiance en lui à toute épreuve, il ne pourrait accepter qu'on lui préfère un autre candidat. Mieux vaut jouir dans une telle situation de l'influence de ceux qui peuvent mousser sa candidature.

Pauvre femme qui doit recevoir tous les invités! Elle est reléguée dans l'ombre par son mari, qui la traite comme son inférieure parce qu'il ne la trouve pas assez entreprenante. Une séparation serait certes souhaitable pour son équilibre, mais les unions créent des liens qu'il est difficile de rompre. Il y a d'abord leur fille et cette maison de campagne à laquelle elle est attachée. La vie lui est bien pesante, mais son mari juge qu'il peut l'alourdir davantage en informant ses amis réunis autour de la table qu'il se sépare sans avoir prévenu sa femme au préalable. Pourquoi tenir à quelqu'une qui ne peut être d'aucun intérêt dans la promotion d'une carrière? Le malaise ne pouvait être plus grand.

Cette soirée, qui s'annonçait comme une rencontre conviviale, se transforme soudainement en cauchemar d'autant plus que les caprices de la nature se mettent de la partie pour emprisonner les invités à l'intérieur de cet enfer qu'ils ne peuvent fuir pour échapper à leur sentiment d'oppression. Ce sera l'occasion pour l'auteure d'analyser à partir de cet élément déclencheur tout ce qui forme et défait les couples. Les amis réunis vivent également des unions qui tiennent à des fils effilochés. Ce huis clos obligé sera plus fructueux qu'une retraite dans une abbaye où l'abbesse, en l'occurrence Florence, préside à leurs séances de méditation, suivies d'une confession générale. S'en sortiront-ils tous absous?

Maryse Pelletier a montré une acuité exemplaire en présentant ce sujet de la fragilité des couples devant l'engagement amoureux. Elle le fait de façon originale en menant de front les angoisses de Florence devant sa mort prochaine et celles des protagonistes qui peuvent être largués au moment où ils s'en entendent le même. Au fait, tous vivent dans l'expectative d'une fin quelconque : séparations, espoirs déçus... Et ce qui ne gâte pas la sauce, c'est que ce roman bicéphale est écrit avec une plume qui ne fait pas de bavures.