Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Francis, Yann.

L'Oeuf guerrier. Éd. Marchand de feuilles, 2006, 305 p.

Du Nunavut à Kaboul

Clo est une jeune femme qui promène sa bosse à travers le monde comme journaliste radiophonique. Au fil des contrats, elle va enseigner à des consœurs à se servir du bon bout d'un micro. Après avoir initié des Inuites à ce médium, elle s'envole vers l'Afghanistan, libéré depuis peu des talibans. Son travail l'amène à parcourir le pays où elle " se bâche de poussière à Kaboul, s'ensable à Mazar-é-Charif, s'envase à Hérat. " On est loin des autoroutes québécoises. La jeep identifiée à une ONG est le moyen de locomotion le plus sûr pour se déplacer entre les koh qui dressent leurs cimes de vanille vers un ciel souvent pluvieux.

Clo partage sa vie avec Jack, un Montréalais de la Maine. Qu'est-il venu faire à l'autre bout du monde ? C'est l'énigme du roman. L'auteur se garde bien d'échapper le mot qui trahirait sa mission avant le dénouement. En fait, cet amant occupe toute l'avant-scène. Avec lui, nous parcourons surtout les rues kaboulies qui offrent un concert de klaxons aux visages grillagés par la burqa ou velus portant une kalachnikov. Il circule aisément parmi eux, parvenant même à établir avec les hommes des relations d'amitié que l'on arrose avec de la bière ou de la vodka. Le roman s'attarde à cet aspect en démontrant qu'au-delà de la politique et de la religion qui barrent la route à la fraternité, les humains sont nés pour être frères comme le chante Raymond Lévesque. C'est angélique, mais l'œuvre n'en perd pas sa crédibilité pour autant.

Ce contenu humaniste émane des nombreuses péripéties qui composent le quotidien d'un Québécois porté par l'amour de " sa rousse ". Mais c'est dans l'embrouillamini que le roman parvient à nous faire partager une vision sympathique de l'Afghan avec son jeu de base-ball et de l'œuf que l'on entrechoque en évitant d'en briser la coquille. Au lieu de se contenter de décrire certains aspects du conflit comme Jacques Bissonnette dans Badal, Yann Francis mise sur les relations humaines entre les peuples pour couper ce nœud gordien. Poétique et humoristique par moments, cette œuvre généreuse porte la marque d'un auteur qui en est à ses premières armes. En fait, il a été un peu victime de son éditeur, qui a aussi manifesté un certain laxisme grammatical.