Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Maillet, Antonine.

Madame Perfecta. Éd. Leméac, 2001, 165 p.

L'Intégration d'une émigrante espagnole

Dans Pélagie-la-Charrette, l'Acadienne Antonine Maillet peignait une fresque historique, qui racontait le retour au bercail de ses ancêtres déportés en Louisiane par les Anglais. Cette oeuvre lui a mérité le Prix Goncourt en 1979.
Pour sa dernière oeuvre, Madame Perfecta, l'auteure a choisi un sujet moins ambitieux, mais tout aussi intéressant. Une émigrante espagnole fuyant l'enfer franquiste se retrouve comme domestique chez Madame Maillet, qui habite maintenant l'arrondissement Outrement à Montréal. Bribe par bribe, elle réussit à connaître toute l'histoire ou presque de Madame Perfecta qui n'est pas une grande causeuse. À travers elle se profilent les conditions sociales de la femme exilée. À quoi peut-elle s'adonner en terre étrangère alors que les médecins mêmes, dans un pays où il en manque de façon alarmante, doivent souvent conduire un taxi pour gagner leur vie du fait que leurs études ne sont pas reconnues? Il reste donc à ces femmes le service domestique ou les emplois routiniers et éreintants des manufactures. Chaque matin, elles se rendent au travail en autobus dans lesquels elles se reconnaissent et s'encouragent tout en protégeant leurs territoires. Ne va pas travailler à Outrement qui veut. Il faut suivre une loi tacite. La dernière venue doit se dénicher du boulot dans les arrondissements moins favorisés, c'est-à-dire chercher un emploi moins rémunérateur.

Madame Perfecta a l'immense privilège d'être la domestique d'une romancière qui connaît ce qu'est le déracinement. Sa situation stable auprès de cette femme attentive lui permet d'organiser sa vie au profit des siens. Ayant trouvé en Madame Maillet une âme compatissante, elle profite de son bon cœur pour aménager un petit potager au milieu du vaste terrain qui entoure la maison.. Petit à petit, la vie de l'héroïne prend forme. On assiste ainsi à une intégration réussie d'une famille d'ailleurs en sol québécois.

La leçon de l'auteure est claire sans être moralisatrice. Elle montre comment une modeste contribution peut combler les âmes vidées de leur essence par un exil obligé. Même si le matériel est autobiographique, il reste que c'est un vrai roman, un roman d'amitié et d'espoir. Et ce n'est pas parce qu'il est écrit sous le signe de l'optimisme qu'il pêche par naïveté. À cela s'ajoute le plaisir de lire l'œuvre d'une bonne conteuse, qui a mis sa plume belle et souriante au service d'une cause humanitaire.