Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Daviau, Diane-Monique.

Ma Mère et Gainsbourg. 184 p.

Un deuil impossible

" Aujourd'hui, maman est morte ", est la première phrase de L'Étranger d'Albert Camus. Comme un clin d'œil à cet auteur, Diane-Monique Daviau commence son récit en annonçant, elle aussi, la mort de sa mère Thérèse : " Elle n'existe plus. " Cette formulation est moins clinique, car elle indique que la grande faucheuse a laissé des traces.

C'est notamment le cas. À 40 ans, la narratrice n'a pas réussi encore à percer la forteresse de sa mère, femme insensible à l'existence de ses enfants. Elle fut si peu maternelle qu'il ait à se demander comment l'auteure peut trouver difficile de faire le deuil de cette femme acrimonieuse. Sa mort devrait plutôt représenter une délivrance alors qu'elle n'engendre que tristesse. La tristesse de n'avoir pu apprivoiser cette mère manquante, plus préoccupée d'attirer l'attention sur elle, en recourant même au chantage : " Quand je vais mourir, les gens vont être surpris. Mais il va être trop tard. "

L'échec de la narratrice n'est pas total. Elle a appris quelques faits qui expliqueraient la conduite de sa mère. Unique au milieu de cinq garçons qui lui menaient la vie dure, elle a dû s'affirmer pendant toute sa jeunesse. La méfiance d'autrui la guida donc pour le reste de ses jours, en érigeant même des barrières entre elle et ses enfants. La quête de filiation de la narratrice prend soudainement fin quand Thérèse meurt prématurément à 65 ans d'un œdème pulmonaire.

C'est un double deuil pour l'héroïne : celui de sa mère, mais aussi de la possibilité de se faire voir, comme l'écrirait Virginia Woolf, dans les yeux de cette femme que rien ne pouvait contenter. La narratrice produisait chez elle le même effet que Gainsbourg chez les défenseurs de la rectitude sociale. Son identification à ce personnage souligne donc ce qui les distance, mais, en mourant, Thérèse rend caduc le point de repère de sa fille. Au royaume de l'au-delà, les antagonismes ne tiennent plus. Comme l'a écrit Cioran, " le tombeau est une oasis ", laissant aux survivants le soin de se dépêtrer dans les sables mouvants de leur existence. Le deuil devient ainsi impossible car les irritants demeurent. Et comme la mère et la fille se ressemblent physiquement, il est d'autant plus difficile à cause de la crainte d'avoir hérité aussi du tempérament de la génitrice.

Diane-Monique Daviau a construit un parallélisme original pour souligner ses relations filiales empoisonnées. Chevauchant sentiments et souvenirs, le récit raconte, avec vivacité et sans pathétisme, l'échec tragique de l'auteure dans sa tentative de se valoriser aux yeux de sa mère, comme c'est le cas aussi dans Les Yeux du père de Guy Lalancette.