Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Corbeil, Guillaume

Pleurer comme dans les films. Éd. Leméac, 2009, 152 p.

Père absent et Matriarcat

À l’instar de Gabrielle Roy et de Roger Lemelin, Guillaume Corbeil trace les contours d’une géographie que le peuple n’ose marquer de sa personnalité. Que sont devenus les Français établis en Nouvelle-France ?

Ce roman freudien se caractérise par l’absence paternelle conformément à la particularité de notre littérature telle qu’elle apparaît depuis la conquête anglaise. Comme dans l’œuvre de Michel Tremblay, c’est l’hosanna des femmes que de tenir les rênes, qui leur facilitent la transmission d’un univers matriarcal à leur progéniture. Les protagonistes principaux sont des cousins, soit une fillette aveugle et un garçon élevés sans pères signifiants. La génitrice du garçon lui prédit une carrière d’écrivain retentissante tandis que ce dernier entreprend de donner une vision idéale du monde à sa cousine, une orpheline de mère abandonnée par son père, dont l’unique préoccupation se porte sur les manettes de la grue qu’il opère.

Dans une famille dépourvue d’étamines, on comble le vide par des expédients. La volonté populaire glisse sous le tapis qu’étendent des « matantes », comme la propriétaire du restaurant du coin, dont l’opinion est déterminante. On laisse aux autres le soin de tricoter le pays en croyant que l’avenir s’arrangera par magie en faveur d’un peuple amorphe, qui emprunte une image de faussaire à l’instar du chat mort que la mère du garçon actionne avec son pied pour lui donner une apparence de vie souveraine. Il n’est pas facile de se débarrasser de cette projection comme le révèle le voisin, un écrivain qui a appris à ses dépens les conséquences d’une identité falsifiée en troquant son nom pour le pseudonyme d’Émile Ajar afin de relancer sa carrière littéraire.

C’est le règne de l’illusoire qui prime, étant même prêt à se défoncer les tympans pour taire la vérité. La thématique est traitée avec la poésie enveloppant La Petite Fille qui aimait trop les allumettes de Gaëtan Soucy. Ces deux œuvres sont des contes cruels, qui passent au crible une existence québécoise à faire « pleurer comme dans les films » si on la projetait sur un écran. L’allégorie échafaudée par Guillaume Corbeil n’a pas la magie du maître, mais l’écriture s’est ébourrée de son gongorisme.