Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Leclerc, Rachel

Ruelle Océan. Éd. du Boréal, 2001, 169 p.

Filiation maritime

Notre littérature compte de nombreux cas de déracinement. Nonobstant les oeuvres des auteurs immigrants, les Québécois racontent aussi le déchirement vécu surtout par ceux qui ont quitté la Gaspésie ou les provinces maritimes pour s'établir à Montréal. Dans Console-moi, Marie Gagnier a tracé un portrait patent de la transplantation d'un veuf et de son fils dans l'arrondissement de Pointe-aux-Trembles. Avant elle, Rachel Leclerc avait évoqué celle d'un autre veuf et de sa fille dans un quartier du centre-sud voisinant le " village gay ".

Infirmière de son métier, l'héroïne habite l'étage d'une maison alors que son père occupe le rez-de-chaussée. Diminué par un infarctus, ce dernier a transformé la cour en bric-à-brac pour oublier le bruit de l'océan que lui rappelle douloureusement celui de la circulation de la rue Papineau. Parfois, " il vient trôner dans son royaume de pacotille, arpentant l'édifice en ruine de son humanité ". Quand on a carburé toute sa vie à l'eau de mer, il est bien difficile d'apaiser sa soif avec les effluves du monoxyde de carbone. Ce déracinement rime avec déchéance. Son père n'est pas l'unique miséreux du quartier. La population de l'arrondissement est formée d'un ramassis de tous les perdants à la loterie de la vie. L'empathie pousse donc l'héroïne à couvrir de baume les plaies de ces gens qu'elle a la chance de rencontrer dans le CLSC où elle travaille.

Si l'auteure souligne les conditions défavorables des habitants blottis aux abords du pont Jacques-Cartier, elle analyse aussi les circonstances entourant le destin de son héroïne, marqué par l'absence de la mère. Elle a été élevée dans un milieu étranger à sa famille avant de retourner chez son père, un homme sévère, qui semblait vivre sur une ferme abandonnée. C'est là, dans une vieille Buick remisée dans la grange, qu'elle s'initiera à l'amour avec un autostoppeur en route vers la Gaspésie. Mais quand l'être aimé est un noir, il ne faut pas compter sur l'aval paternel. Son père n'a pas su l'accompagner vraiment sur le chemin de la vie. Comment reconnaître alors sa filiation ? Seule la mer fournira la réponse à l'héroïne, incapable de le haïr.

Malgré ces renseignements, le volet des origines manque d'ouverture. Il ne laisse pas filtrer suffisamment les tenants qui aboutissent à la vie montréalaise des héros. L'auteure a choisi plutôt l'angle de la misère humaine, en passant sous silence ce qui l'engendre. Enrobé dans une écriture fine et poétique, ce roman fait appel en somme aux bons sentiments.