Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Nappaaluk, Mitiarjuk.

Sanaaq. Éd. Stanké, 2002, 287 p.

Vivre en pays inuit

Sanaaq est une oeuvre de Mitiarjuk Nappaaluk, une femme inuite analphabète qui habite la région arctique du Québec, mieux connue sous le nom de Nunavik. Elle a écrit son roman en employant les signes phonétiques inventés par les missionnaires pour que les Inuit (singulier : inuk dans leur langue, terme désignant l'être humain) aient des textes en inuktitut. Son oeuvre est avant tout un document sociologique qui renseigne sur les us et coutumes de son peuple. On ne lit pas Sanaaq pour la beauté de l'écriture. L'auteure raconte tout simplement leur vie, qui se traduit par une lutte acharnée pour se nourrir.

La chasse et la pêche font donc partie de leurs activités quotidiennes. Le phoque compose leur nourriture de base. C'est le bovin de l'Occidental. Tout sert dans ce mammifère marin, y compris les nerfs dont on fait du fil pour coudre les vêtements. Son importance a enrichi le vocabulaire de ce peuple. Ainsi un phoque est un ujjuk; mais s'il n'a que la tête hors de l'eau, il devient un puiji et, étendu au soleil, c'est un uutuk. Cette distinction est très utile pour se renseigner entre chasseurs. J'ai remarqué aussi l'importance des bruits dans leur vie. Ils ont un terme particulier pour les désigner. Ce vocabulaire sert de guides précieux dans cette immensité de neige pour trouver une proie généralement blanche comme le harfang ou déceler la présence dangereuse du nanualuk (ours blanc).

Ce roman intéressant découvre surtout l'univers des femmes inuites, qui ne sont pas reléguées dans l'ombre de leurs maris. Elles savent affronter la nature comme Sanaaq, l'héroïne du roman, qui sait pêcher des iqaluppiit (truites de mer) et construire un igloo. Cette veuve remariée est une femme forte, capable de défendre son point de vue. Malheureusement, la violence conjugale viendra ternir cette image. Comme elle a un mari équilibré, mais perturbé par la maladie de son fils, le couple pourra continuer à vivre dans l'harmonie.

Malgré cet incident injustifiable, l'œuvre révèle que les Inuit forment un peuple simple et sain. Ils ont le sens du partage. Les fruits de la chasse et de la pêche sont divisés entre les membres du clan. Si ça sent le bonheur, il ne faut pas croire que les lois de la psychologie ne jouent pas dans l'Arctique. Les dépressions et les succubes s'y donnent également rendez-vous. À leurs problèmes s'ajoute l'arrivée des qallunaat (les blancs), qui en un court laps de temps, auront eu l'occasion d'engrosser la soeur de Sanaaq et de les diviser à propos de la religion. Imaginez ce que serait devenu le roman, s'il avait couvert la période où nous leur avons volé leurs rivières, le sang qui les fait vivre, pour ériger des barrages hydroélectriques.

C'est un beau roman, dont la valeur est plus anthropologique que littéraire. Yves Thériault avait fait connaître les Inuit avec Agaguk. Dans Je m'en vais, Jean Echenoz a signalé l'importance de leur art. Avec Sanaaq, on les découvre vraiment. Si l'on est curieux et tolérants aux faiblesses d'écriture, on quittera ce roman avec la tête pleine de celui qui revient d'un beau voyage.