Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Dickner, Nicolas.

Tarmac. Éd. Alto, 2009, 269 p.

Dans la crainte de la fin du monde

Michel Bauermann fait la connaissance de Hope Randall au stade de base-ball désaffecté de Rivière-du-Loup. Petit génie en herbe issu d’une famille oeuvrant dans le béton, il s’intéresse à cette adolescente venue de la Nouvelle-Écosse avec sa mère à cause de la fin du monde que cette dernière a prévu pour 1989 en désaccord avec sa fille, qui l’a plutôt fixée au 17 juillet 2001. Au cours de l’été, sa prévision est corroborée par un Japonais du nom de Hayao Kamajii, alias Charle Smith. Il n’en faut pas plus pour qu’elle parte à sa rencontre à la fin des vacances scolaires, en passant par New York et Seattle avant d’aboutir à Tokyo, d’où elle ne revient jamais.

Ce roman à saveur millénariste brosse le tableau d’une adolescence au tournant des années 90. Le désoeuvrement de Michel s’envole comme par magie quand il se lie d’amitié avec cette fille idéale, qui correspond aux mesures de sa curiosité intellectuelle. Les deux nerds squattent le sous-sol du bungalow des parents du jeune Louperivois, où ils se repaissent d’informations, avachis devant l’écran cathodique. Hope ne perd pas de vue pour autant l’apocalypse, qui obnubile toute sa famille. En attendant le jour fatidique, toit et bouffe représentent des enjeux majeurs. Hope compte sur le sous-sol des Bauermann, un vrai bunker pour se protéger de l’éventuel cataclysme. Ce genre d’habitation, apparu après la Deuxième Guerre mondiale au Québec, offre l’avantage d’une cave habitable, où on peut emmagasiner les sachets de ramen noodles, une préparation pratique si jamais on est confiné à un refuge que l’on ne peut quitter. La crainte de Hope persiste même si le père de Michel l’assure d’un emploi dans son entreprise pendant les vacances d’été. C’est avec son salaire d’ailleurs qu’elle s’envolera inopinément vers le Japon.

Le canevas sert à décrire les soubresauts d’une décennie marquée par la fin de la guerre froide, la démolition du mur de Berlin, l’attaque de l’Irak par Bush père, l’échec de la perestroïka, le départ de Ronald Reagan… Au-delà des enjeux politiques se dresse le désarroi du changement. Partout, le décor ambiant ressemble à un paysage de fin du monde de par ses démolitions ou ses constructions en cours. Le vieux stade municipal est démoli, des tours surgissent des terrains vagues, comme l’illustre la page couverture. En somme, on vit toujours sur un tarmac à destination de nouvelles orientations sociales.

Que reste-t-il de l’adolescence de Michel, qui a coïncidé avec des événements politiques majeurs ? Le souvenir de la main de Hope sur sa cuisse, un souvenir qui le poursuit sans cesse si l’on se fie au dénouement ouvert du roman. Nicolas Dickner a donné la prépondérance à sa toile de fond au détriment de personnages déguisés en simples témoins de bouleversements étrangers à leur vie. Adulte, Michel travaille à Montréal. Hope s’est-elle désintégrée au Japon ?

Moins intériorisé que Nikolski, ce roman s’est cantonné à un horizon historique qu’il remémore brillamment d’ailleurs. Découpée comme une bande dessinée, l’œuvre assure sa crédibilité grâce à sa narration efficace, son armature fort solide et son écriture captivante quand elle ne s’offre pas comme un collage d’étiquettes d’emballages.