Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Blondeau, Dominique.

Une île de rêves. VLB éditeur, 2004, 198 p.

Le Mythe des îles

Quitter le quotidien qui asservit aux contraintes sociales compose sûrement l'imaginaire des humains en quête de liberté. De nombreuses œuvres en témoignent, tels Robinson Crusoé de Defoe et L'Île au trésor de Stevenson. Même Yann Martel, dans L'Histoire de Pi, a imaginé une île enchanteresse qui se révèle mortelle pour les utopistes qui croient à la magie des thébaïdes. Vivre ses rêves, c'est livrer un combat à finir à la nature, mais aussi à son moi, comme l'a déjà démontré Melville dans Moby Dick. Avec Une île de rêves, Dominique Blondeau ajoute une œuvre originale à cette thématique.

Comme beaucoup d'auteurs, elle prétexte un naufrage pour l'aborder. Trois jeunes, partis en croisière sur un voilier, échappent miraculeusement à la mort en s'accrochant à des débris du bateau, qui sont drossés vers une île inconnue. Les héros croient fermement qu'ils seront rapidement repérés étant donné les moyens technologiques dont on dispose aujourd'hui. Après cinq longs mois d'attente, il leur a fallu s'organiser efficacement pour satisfaire leurs besoins primaires comme s'abriter, boire et manger.

Cette toile de fond musse le drame psychologique qu'engendre toute vie sur une île, en particulier si les héros forment un trio dépareillé. Sophie est une Québécoise, née d'une mère italienne, Colleen est une Torontoise née d'un père libanais et Charles est un Belge de Namur. Ce n'est pas tant le choc des cultures qui incitera à la division que leur caractère : l'équanimité de Sophie s'opposant à la pugnacité de Colleen, les deux femmes s'opposant au machisme de Charles. Leur singularité surgit évidemment d'un passé qui les a moulés selon les normes parentales. Sans être féministe, l'œuvre s'attarde volontiers sur la grande vulnérabilité du sexe fort. Pour que la guerre n'éclate pas, chacun comprendra qu'il devra mettre de l'eau dans son vin, ne serait-ce que pour assurer sa survie.

C'est la grande leçon qu'en tire l'auteur. Il est ensorcelant de se retrouver sur une île, même de rêves, mais encore faut-il lui donner une identité pour s'y reconnaître. Il est difficile de vivre sans carcans. Il faut s'en créer de nouveaux en impliquant autrui. Les utopies doivent embraser l'entourage, qui ne se laisse pas nécessairement manipuler. Pour atteindre ce but, une plongée en apnée s'avère obligatoire pour démêler les intrigues de la personnalité qui isolent d'autrui. La connivence devient la règle si l'on veut survivre dans un lieu, même mythique. Le pépiement des oiseaux, le clapotis des vagues et la nature abondante causent à la longue le tournis aux âmes les mieux intentionnées.

Le caractère antithétique des oasis est souligné avec une grande justesse. Le roman ne ressemble pas à un exposé dogmatique. Il faut déployer quand même beaucoup d'attention pour suivre le développement de la thématique parce qu'il passe par la mise en abîme des trois héros, sans compter que peu de rebondissements soutiennent l'intérêt de ce suspense psychologique qui tourne parfois en rond. Il reste que l'on peut attendre fébrilement le dénouement, impliquant une conclusion sur le sens de notre présence au monde que l'on ne peut affronter sans devenir fou si l'on ne s'imbrique pas dans un réseau de bonnes relations, voire amoureuses, avec autrui.

Le roman respecte la vie qui emmêle savamment toutes ses composantes. Ainsi l'œuvre apparaît comme un écheveau que le lecteur est appelé à démêler. La forme du contenu se perpétue dans l'écriture. On dirait un torrent qui ne sait s'arrêter à cause de l'absence des barrages formés par les chapitres et la ponctuation. C'est un tout tissé serré qui manque d'aération. Mais c'est un style que l'auteur exploite avec une maîtrise consommée, comme Marie-Claire Blais dans La Foudre et la Lumière.