Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Anglade, Georges.

Ce pays qui m'habite.
Lanctôt éditeur, 2002, 122 p.

Les Haïtiens de Montréal

Georges Anglade est un Québécois d'origine haïtienne, né en 1944. Géographe de formation, il enseigne à l'université depuis des décennies. Après avoir écrit des essais, dont le premier date de 1974, voilà qu'il livre aux lecteurs depuis 1999 des lodyans, récits voisins de la nouvelle. Comme l'auteur le précise, c'est une " manière native de l'écrit d'origine orale... une miniature dans une mosaïque ".

La première partie consacrée à l'enfance de l'auteur à Quina est de loin la plus intéressante. Les us et coutumes, rapportés avec une pointe d'humour, témoignent de l'esprit d'un peuple aucunement appelé au martyre avant l'arrivée de Duvalier en 1954. C'est plutôt la joie de vivre qui caractérise ces habitants des Antilles, où le mensonge se marie à la vérité comme les histoires de pêcheurs.

C'est devenu jeune homme que sa vie et celle de son peuple se sont gâtées. Du jour au lendemain, la parole est devenue plus que suspecte. Terminées les rumeurs que les gens colportaient. Pour se maintenir au pouvoir, Duvalier chassait le mot comme s'il était démoniaque. Il réduisit ainsi les siens au mutisme, eux qui souffraient de " parolite " aiguë. Ceux qui ne comprirent pas le message payèrent de leur vie les mots dits et les non-dits devinés sur les lèvres. Cette deuxième partie, très politique, montre comment Port-au-Prince devint rapidement Port-aux-Morts.

Pour échapper au massacre, bon nombre d'entre eux s'emmenèrent au Canada, y compris Georges Anglade. On les retrouve dans le quartier Côte-des-Neiges de Montréal à cause de sa population immigrante impressionnante. Comme les autres, les Haïtiens sont confrontés à la problématique de l'exil, qui les réunit à partir du vendredi soir dans les " coffee shops " pour panser les plaies du déracinement. La parole reprend vie, mais notre soleil ne sera jamais assez chaud pour lui redonner sa vigueur d'antan. Ils sont quand même heureux de s'intégrer à leur terre d'accueil puisque le Montréal des métèques devient peu à peu le Montréal des métis. Cette dernière partie, la plus faible de l'œuvre, ressemble davantage à une analyse sociologique, parfois assez ennuyeuse par son manque d'originalité.

Ça reste une oeuvre valable, structurée comme un vitrail par des parcelles de vie qui, réunies, composent un tout cohérent. C'est même lumineux à cause de l'écriture inspirée de l'oralité. Elle rend avec élégance la couleur locale et se greffe avec discrétion aux québécismes de la dernière partie, laquelle semble avoir demandé à l'auteur tout son petit change pour la terminer. Quoique l'auteur exploite une situation dramatique, il évite l'apitoiement en soulignant plutôt le dynamisme d'un peuple devant le mauvais sort que lui a jeté le pouvoir politique.