Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Laverdure, Bertrand.

La Chambre Neptune. Éd. Peuplade, 2016, 234 p.

Les Limites du savoir

Le héros ou l'héroïne du roman se prénomme Tirésias. Est-ce un homme ou une femme ? L'auteur ne le précise pas. Il laisse le gynandromorphisme de son personnage s'exprimer comme bon lui semble. Comme un insecte, il est tantôt l'un ou l'autre. Cette sexualité aléatoire n'empêche pas Tirésias de se consacrer corps et âme aux patients du Centre Émilie-Dickinson, institution vouée aux soins palliatifs en pédiatrie. L'œuvre se penche en particulier sur le cas de la petite Sandrine, une fille d'onze ans, abandonnée à son sort à cause du carriérisme de ses parents, un recherchiste pour un média télévisuel et une mère musicienne.


Ce canevas entrelace la maladie de Sandrine, la sexualité de son médecin traitant et l'actualité. Tous les événements récents trouvent une voie dans ce roman. Et l'auteur y consacre un commentaire appuyé qu'il joint au récit d'une mort appréhendée. Il porte un regard lucide sur ce que l'on vit en dehors de notre destinée personnelle. Il enrichit sa réflexion en faisant appel à l'expérience de collègues écrivains afin de brosser un tableau de l'impact de tout ce qui compose le quotidien comme la musique pop ou les Olympiques.

Cette technique romanesque rapproche le roman de l'essai, un essai qui embrase tous les centres d'intérêts de nos sociétés. En fait, Bertrand Laverdure s'en prend aux fausses interprétations de la soi-disant réalité avec laquelle on doit composer. Il faut aller au-delà des apparences pour saisir ce qui s'y camoufle. C'est une invitation à réfléchir le plus profondément possible sur les enjeux sociaux. Malgré ces détours pas toujours convaincants, l'auteur ne perd pas de vue que le savoir n'aplanit pas toutes les rugosités. La mort reste une donne qui embête encore ceux qui méditent sur le sens de la finitude. Quand Sandrine meurt, Tirésias ne peut l'endosser. La science balbutie encore après des siècles de recherche pour sauver surtout les enfants de l'inéluctable.

C'est un beau roman issu d'une plume magistrale qui puise son encre dans le créneau de la poésie. Mais il reste que le parcours romanesque imite celui d'une route en réfection encombrée de cônes orange qui obligent les automobilistes à des détours gênants. La lecture de l'œuvre exige de la patience si l'on veut suivre l'auteur sur l'autoroute qu'il a empruntée.