Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Lepage, Sophie.

Lèche-vitrine. Éd. Triptyque, 2005, 147 p.

Les Trentenaires

Les trentenaires occupent un large créneau dans notre littérature. Les auteurs s'intéressent particulièrement à ce groupe d'âge, que ce soient Suzanne Myre, Sylvie Desrosiers, Brigitte Caron ou Dominic Séguin. Quand l'horloge biologique sonne l'heure de la maternité, les jeunes femmes sont désemparées. L'âme sœur et responsable ne court pas les rues. Les jeunes hommes folâtrent encore sans se soucier des engagements à long terme. À son tour, Sophie Lepage brosse le tableau de cette génération en quête de valeurs et d'amour.

Elle présente un éventail assez large des spécimens qui la composent. On rencontre Carl, l'homosexuel, Claudia, la yuppie, Jérôme, le Don Juan, Audy, le zen anglophone, Valérie, l'amoureuse déçue, Philippe, le photographe et Marie, la journaliste pigiste. Ce sont ces deux derniers qui forment le pilier de l'œuvre. Les autres personnages gravitent autour d'eux pour faire ressortir leur dilemme : deux êtres éprouvés par les diktats de la société moderne : consommer et aimer. On ne peut pas dire qu'ils sont très conscientisés. Ils reflètent les tendances du jour sans trop questionner leur bien fondé. Marie est une fleur bleue qui se valorise par sa tenue vestimentaire, et Philippe se laisse conduire par des sentiments qui ne transcendent pas la titillation qu'il éprouve pour autrui. Ce dernier est le seul cependant à vouloir influer quelque peu sur les valeurs imposées en se comportant en consommateur averti.

Ce fond social sert de trame à un amour qui se dessine entre les deux héros. Le rapprochement des tourtereaux emprunte la voie du chassé-croisé, de l'erreur sur la personne, de la timidité. Chaque fois que s'annonce la rencontre décisive qui unira leur destinée, une circonstance défavorable se manifeste pour retarder ce moment. Cette technique très apparente gâche le plaisir de la lecture. Mais il n'en reste pas moins que c'est un portrait assez fidèle des trentenaires, qui sont beaucoup moins sûrs d'eux qu'il n'y paraît. Cet aspect ferait la force de cette oeuvre, mais, hélas, elle est affadie par les teintes mièvres employées par l'auteur. L'écriture, tout aussi pâlotte, prive finalement les rejetons des baby-boomers d'une voix ferme pour se faire connaître.